Fael Prolog - Le Cataclysme

PROLOGUE

Debout dans le grand hall du Temple, il jetait autour de lui des regards emprunt d’inquiétude : rien ne bougeait, personne n’était présent, pas même les gardes. Curieux se dit-il. Pourquoi Selenether ne l’attendait-elle pas au rendez vous qu’elle lui avait fixé ?

Elfe noir âgé d’une quarantaine d’années tout au plus, ce qui passait pour très jeune parmi ceux de sa race, il était élancé et assez grand. Son visage oblong affichait un regard dur et déterminé, encadré par une longue chevelure d’une blancheur aussi éclatante que rare, même pour ceux de son peuple.
Trop indépendant de caractère, il ne s’était jamais habitué à la stricte obéissance qu’il devait à la hiérarchie matriarcale qui l’attendait en entrant dans la voie de la prêtrise. Il avait donc rapidement opté pour la vie d’aventurier, ce qui le maintenait la plupart du temps éloigné de la cité, et de ses prêtresses.

Certains, s’ils avaient connu les rapports qu’il entretenait avec la prêtresse Selenether, auraient pu s’étonner de le voir repartir si vite, mais être l’amant d’une prêtresse ne présentait pas que des avantages, loin s’en faut.
Le plus grand inconvénient étant évidemment le jour où celle-ci choisirais inévitablement un autre amant. Comme un mâle ne saurait avoir le moindre moyen de pression sur une prêtresse, il était inutile de préciser le destin qui attendaient à terme ceux qui avaient été « choisis ».
Il pourrait sembler étonnant de voir ce système continuer à fonctionner, mais le bénéfice obtenu dans l’ombre du Temple par cette position était bien trop attirant pour ceux d’une race dont le principal plaisir était l’accroissement de leur pouvoir personnel.
Et puis, il y avait toujours la vie de mercenaire, loin du Temple. Se faire oublier était un autre moyen de disparaître …

Encore une fois, il regarda autour de lui, et l’absence de mouvement finissait par le rendre mal à l’aise. Au bout d’une heure de vaine attente, il finit par se résoudre au fait qu’elle ne viendrait pas. La prochaine convocation s’ensuivrait certainement d’une réprimande, mais qu’y pouvait-il ? Il n’était qu’un mâle, et en bas de l’échelle qui plus est.
Son seul réconfort était qu’il repartait dès le lendemain avec ses camarades d’aventures, pour une mission suffisamment importante au point que même le Temple soit obligé de le laisser repartir si vite. D’ici là, Selenether serait certainement apaisée, un peu.

Reprenant la route de ses appartements, il traversa les différents quartiers de la ville, y redécouvrant à nouveau tout ce qu’il admirait dans sa cité, ainsi que tout ce qui lui faisait horreur. Le contraste que pouvait démontrer ceux de sa race le laissait toujours plus que perplexes.
Quelques minutes plus tard, il pénétrait dans ses appartements. La porte extérieure était à peine refermée qu’il ressentit le danger. Pourtant, cela ne le sauva pas, et la douleur à l’arrière de la tête lui fit perdre connaissance quelques instants ...

Lorsque Faelnakith reprit connaissance, deux trolls massifs le tenaient fermement par les bras, et l’avaient amené au centre de la pièce. Ils avaient du être embusqué derrière la porte, mais il ne comprenait pas comment de sombres abrutis comme eux avaient-ils pu passer les défenses magiques … Il s’arrêta dans son raisonnement quand il la vit sortir de l’ombre :

- Selen …

- Prêtresse Selenether, traître, répondit-elle.

Le ton était ferme et mordant, aussi mordant que le coup de fouet qui l’atteignit au cou, lui laissant une belle cicatrice. Relevant les yeux, il la dévisagea : elle était toujours aussi belle, toujours à son avantage. L’armure de cuir réduite à sa plus simple expression cachait à peine ses seins ronds et biens formés. La robe était raccourcie de façon à ne pas gêner ses mouvements, laissant apparaître ses jambes à la peau fine, et parfaite. Son visage ovoïde abritait les deux yeux couleur lavande qu’il ne pouvait soutenir très longtemps, noyés au milieu d’une chevelure abondante, et de la même blancheur que la sienne.
Pourtant, cette fois-ci, mu par sa situation, il choisit de soutenir ce regard, ce qui lui valu un autre coup de fouet, puis un étrange sourire de la part de l’elfe noire.

- Ainsi donc, tu a appris à te comporter enfin en male digne d’intérêt ?? Quel dommage que je doive te perdre quand tu devenais enfin intéressant.

Alors qu’elle faisait le tour de sa proie, il laissa dériver son regard, et aperçut le globe de SombreVision qui était posé sur le bureau ... Ce qu’il y vit alors lui ôta tout espoir. Il était inutile de nier ce qu’elle avait vu, cela n’aurait fait qu’accentuer sa colère, alors qu’elle semblait vouloir de toute façon lui ôter la vie. En revanche, peut être pourrait-il n’être que le seul coupable à ses yeux. Espérance qui fut vite douchée :

- Je te rassure tout de suite, tes amis seront eux aussi puni, à ma manière, et de façon particulièrement douloureuse à leur retour. Quant à elle, un assassin finira bien par l’atteindre. Et ce jour là, elle saura le destin que je t’ai réservé !!

Un nouveau coup de fouet, puis le sourire qu’elle affichait s’accrut quand elle vit la mine décomposée de son prisonnier. Ainsi, elle avait vu juste, sur toute la ligne, pensa-t-elle !

- Sale petit traître, tu allais tout renier, même ton appartenance à notre race, pour cette ... Enfin, cela n’arriveras pas, nous allons remédier à cela, en commençant par toi.

L’elfe noir laissa échapper ce qui aurait presque pu passer pour un regret, et choisi de ne rien dire. Il était persuadé qu’elle ne le croirait plus. Et pourtant, si prêt du but ...

Prenant une baguette accrochée à sa ceinture, faite d’un étrange métal noir et mat, serti d’une gemme d’un rouge profond à une extrémité, Selenether commença à dessiner au sol une sorte de pentacle, qu’elle entoura d’une série de runes étranges, dont Faelnakith connaissait la signification de chacune prise séparément, mais dont l’association lui restait inconnue.
Une fois ceci achevé, les deux trolls emmenèrent leur captif au centre du pentacle, et le forcèrent à s’agenouiller. D’un simple geste, elle lui lança un sort d’immobilisation, et ils laissèrent l’elfe noir complètement pris dans un étau scintillant.

- J’avais envisagé de te donner à dévorer directement à ces deux brutes, mais je me suis dis que ça ne serait pas encore assez douloureux, alors j’ai imaginé autre chose pour toi. Tu vas voir, je suis certaine que cela va te plaire.

Alors qu’il était complètement immobile, elle sortit une petite fiole d’un liquide bleuté, et après lui avoir indiqué qu’il s’agissait d’un poison lent et douloureux, dont elle lui décrivit certains des effets secondaires, il commença à saisir l’utilité du pentacle.
Il reconnaissait en effet, ça et là, des combinaisons d’accentuations, ou d’extrapolation. Mais rien de bien extraordinaire cepandant. Ce qu’il avait pris pour une terrible phrase runique ne serait donc qu’un ensemble de petites formules ?
Pourtant, quelque chose clochait, il faudrait maintenir l’enchantement d’immobilisation en place, ainsi qu’un sort de silence, pour qu’il ne puisse pas se guérir lui même par ses propres pouvoirs. Il était un prêtre après tout ! Or, aucune association de rune ne semblait indiquer cela.

Pendant qu’il était absorbé dans ses supputations, elle s’approcha de lui. L’agrippant par les cheveux, elle lui tira la tête en arrière, afin de le forcer à boire le contenu entier de la fiole, et se recula, afin de jouir au maximum du spectacle. L’enchantement forçait l’elfe à la plus stricte immobilité, mais son regard et ses contractions musculaires montraient bien que la punition avait commencé.
Elle resta de longues minutes à le contempler, un sourire des plus cruels sur les lèvres, puis elle passa derrière les trolls. Quelques secondes après, ils n’étaient plus que deux torches qui se consumèrent à une vitesse effrayante, ne laissant à leur place que quelques cendres éparses.

Puis, venant s’agenouiller derrière sa victime, elle passa doucement sa main dans sa chevelure.

- Je t’avais remarqué tôt, alors que tu n’était encore qu’un apprenti, tu était si prometteur. Rares sont ceux à qui les Dieux accordent tant de pouvoirs, et tu était l’un de ces rares élus. Mieux, je t’avais admis parmi mes proches, choisis presque comme consort … et tu m’as humiliée en choisissant la vie d’aventurier. Et maintenant, tu t’apprêtais à me trahir pour cette traînée.

Serrant une mèche de cheveux, elle tira d’un coup sec, et repartit vers le bureau avec sa prise, sans même un regard vers l’elfe noir. Utilisant un récipient, elle mélangea les cheveux avec quelques autres produits, et bientôt, une étrange fumée blanche s’éleva du récipient.

- Voilà mon tout beau. Je sens qu’on va bien rire … Moi surtout.

Saisissant une dague, elle revint vers l’elfe sans défense, et d’un mouvement, modifia sa position, le laissant debout, lévitant légèrement au dessus du pentacle. Utilisant l’arme, elle le mit rapidement complètement à nu, et après avoir trempé la pointe dans le récipient encore fumant, traça sur son buste une nouvelle série de runes, qui s’enfoncèrent profondément dans la peau.
Passant une main sur les runes, elle les cicatrisa rapidement, et recula afin de reposer le tout sur le bureau.

- Tu devrais être heureux, tu vas être le premier à inaugurer les Runes d’Azaroth !! C’est un sortilège que j’ai dérobé à la Grande Prêtresse, avec d’autres, et je compte bien utiliser cette soirée pour …

Un éclair jaillit du néant et vint cueillir Selenether à la poitrine, ses défenses magiques encaissant le choc. Cependant, ce premier éclair fut rapidement suivi par une série d’autres, et finalement, les défenses saturées par les attaques répétées, un des éclair l’atteignit enfin, et blessa la prêtresse avant qu’elle n’ai pu réagir.
Allongée au sol, la respiration difficile, gravement brûlée sur tout le torse, et baignant dans son sang, elle vit sortir d’un repli de la trame la Grande Prêtresse, légèrement amusée. Elle portait sa grande robe noire et ample, qui cachait les nombreux ravages du temps et de la magie sur son corps. Mais cela ne pouvait masquer l’absence totale de chevelure.

- Je te croyais plus maligne que cela, Selenether. Ton mâle a bien rempli sa mission, lui, te mettant ainsi à ma merci. Mais ne lui en veut pas trop, c’est un mâle, et il n’a même pas conscience de son manque de valeur dans notre combat. Enfin, combat …

La fureur qui s’affichait sur la figure de Selenether, allongée au sol, se sachant en train de mourir, fit éclater de rire l’autre femelle elfe noire.

- Tu te crois encore capable de me battre ?? J’aime cela, et je te laisse une chance pour l’avenir qui s’ouvre à toi, mais tu n’en auras qu’une seule de toute ta misérable vie. A toi de voir quand tu la saisiras.

Selenether murmura quelques mots, et le sol se mit à bouillonner subitement autour de la vieille elfe noire. Progressivement, un nuage l’enveloppa, et sembla prendre la forme d’une main de pierre, destinée à broyer sa victime. Des zébrures dans les doigts de la main montraient la puissance de la magie et de la hargne qui se déversaient dans le sort.
Un instant, la Grande Prêtresse sembla afficher de la douleur, mais rapidement, la mimique se transforma en un énorme rire, et la main se volatilisa en un nuage de sable et de poussière qui s’éparpilla dans toute la pièce.

- Quel gâchis de potentiel !! Vraiment pitoyable, jusqu’au bout !!

Abaissant sa main vers Selenether, elle l’enveloppa dans une brume informe ; rapidement, la brume s’assombrit avant de se dissiper. Sans un seul cri, la jeune prêtresse avait trouvé une mort horrible, son corps dissous par une magie qui n’avait laissé que quelques os épars et brisés.
En revanche, la mort de Selenether avait rompu le sortilège d’immobilisation, et l’elfe noir semblait vouloir se relever, lui aussi affichant une grande colère dans son regard. Mais la grande prêtresse l’emprisonna à son tour.

- Tu es sans doute trop stupide pour comprendre, mais je vais quand même essayer de t’expliquer, ne serait-ce que par pure satisfaction personnelle. Si vous étiez tous les deux de jeunes elfes noirs prometteurs, tu n’était qu’un simple mâle, et sans grand danger pour moi. En revanche, elle était une étoile montante dans le Temple, et de ce fait, je ne pouvais la laisser faire n’importe quoi, comme me voler mes richesses, et surtout me désobéir. Cependant, j’avais besoin de tester ce nouveau sortilège sur les runes, et j’ai décidé de faire d’une pierre deux coups.

Passant soudainement sa main au dessus de la chair meurtrie de l’elfe noir, elle murmura en silence, achevant l’incantation qu’avait commencé Selenether.
Le résultat fut plus que concluant. Les runes se mirent à luire d’un rouge menaçant, et au bout de quelques secondes, et malgré le sortilège d’immobilisation totale, l’elfe commença à se tordre, et finit par réussir pousser un cri reflétant une souffrance qui avait du rarement être infligé sur cette terre.

D’une parole, elle mis une pause au sortilège, et plongea son regard dans celui de sa victime complètement hagarde.

- Il est temps de nous dire au revoir, jeune mâle. Je crois même qu’un adieu serait de circonstance. Quand je quitterais cette pièce, nul personne qui vit dans cette cité ne remettras jamais les pieds ici, j’y veillerais, soit en certain.

Embrassant d’un regard la pièce, et achevant ses dernières paroles avec un geste emphatique, elle ajouta :

- Bienvenue dans ta tombe.

Saisissant un cristal noir dans l’une des poches accrochées à sa ceinture sous la robe qu’elle portait, elle commença à réciter les paroles d’un sortilège d’enchâssement, qu’elle acheva rapidement. Au moment où le cristal prenait forme autour de sa victime, elle réactiva les runes, et une vive lumière blanche envahi la pièce. Quelques secondes plus tard, un étrange monolithe d’une transparence troublante trônait dans la pièce.
Au centre était désormais enfermé un elfe noir, prisonnier pour l’éternité que durerait ce cristal, maintenu en vie par la magie du cristal, et continuant à subir les terribles souffrances des Runes d’Azaroth.

Au travers du monolithe, elle examina les yeux de l’elfe. Il reflétait à la fois une telle souffrance, une telle terreur qu’elle finit par éclater de rire, puis elle sortit comme si de rien n’était. Traçant une étrange série de symbole sur la porte, elle se coupa et aspergea la porte de son sang, qui grésilla au contact de la pierre.
Puis la surface parue changer, et progressivement, la porte fusionna avec le reste de la roche, et devint bientôt totalement inviolable. Les symboles brillèrent une dernière fois, et disparurent à leur tour.

- Bonne nuit, Faelnakith, et adieu.

La Grande Prêtresse n’avait pas encore fait la moitié du chemin vers le Temple quand cela se produisit.

Quelques heures plus tôt, très loin au dessus de la montagne où se cachait la cité, cela avait commencé dans le silence d’une immensité que nul ne pouvait vraiment comprendre.

Un événement sans précédent se jouait : une traînée de feu était apparue et se deplaçait lentement dans le ciel.
Tous ceux qui avaient pu la voir s’étaient arrêté, quoi qu’ils soient en train de faire. Forge, combat, magie, nul ne la quittaient plus des yeux.

L’impact fut silencieux mais terrible. Quelques instants plus tard, l'explosion projeta des milliers de fragments épars un peu partout sur les terres et les océans, ravageant la planète sous un cataclysme que même les Dieux n’auraient pu orchestrer. Une nouvelle ère s’ouvrait, dans laquelle le chaos allait régner en seul maître pour de nombreuses années.

Seul dans sa forteresse imprenable, silencieux, et en proie à une souffrance sans fin, Faelnakith, jeune prêtre victime de ses sentiments, commençait sa longue punition, presque isolé de ce cataclysme …