Fael 01 - L’honneur de la Pourpre.

Deux ans … Voilà deux ans maintenant qu’elle avait enfin trouvé sa voie et choisit son mode de vie. Enfin, si on pouvait appeler cela une vie.
Accoudée au bastingage du petit voilier qui revenait dans le port de sa ville d’attache, elle jeta un regard vers l’horizon du large. Curieusement, elle ne gardait quasiment aucun souvenir de sa jeunesse. Seulement de vagues impressions, comme si un voile semblait recouvrir cela.

Verinea était une jeune et belle elfe, toujours légèrement vêtue. Son armure, faite d’un cuir brun et souple, masquait avec discrétion et efficacité une poitrine indubitablement très féminine. Elle avait choisi de porter des pantalons dans le même matériaux, ce qui lui assurait une assez large liberté de mouvement. Ses longs cheveux blonds et souvent en cascade, son nez aquilin, et ses yeux verts émeraudes étaient une source constante d’admiration et de jalousie de la part des races plus ternes qu’elle côtoyait durant ses pérégrinations.

Elle jeta un instant un œil sur le capitaine qui manœuvrait son bâtiment. Il s’agissait d’un homme expérimenté et efficace. Elle avait confiance en lui, enfin, ce qu’il fallait pour lui confier sa vie quand elle devait se rendre d’un point à un autre en passant par la mer.
En revanche, sa confiance n’allait pas jusqu’à se séparer de la paire de dagues de combat qui reposaient calmement dans sa ceinture. Le rumeur prétendait qu’il y avait une troisième dague, moins visible, mais personne n’en était vraiment sur … Personne de vivant en tout cas !

Alors qu’on tendait la passerelle, après l'accostage, pour permettre de rejoindre la terre ferme, elle aperçut un groupe de soldat arriver au pas de course, en direction de son bateau. A leur tenue, elle reconnut des soldats de la Garde.
Arrivée devant la passerelle, deux gardes se mirent dos au navire, semblant vouloir interdire à quiconque de monter à bord. La capitaine et les deux autres gardes montèrent rapidement à bord, et se dirigèrent droit sur elle.

- Verinea Nelthirion ?

L’intéressée prit quelques secondes pour dévisager le capitaine. De la race des Kurashasa, il ressemblait un peu à un tigre arpentant le monde sur deux pattes. La comparaison s’arrêtait là : ils étaient infiniment plus sournois, et même, par certains aspects, encore plus dangereux que les elfes noirs, car ils avaient en plus l’esprit de meute.

- Et si c’était le cas ?

- Ce n’était pas vraiment une question, mademoiselle. Veuillez nous suivre immédiatement. Vous êtes demandée par un représentant du pouvoir.

D’un geste, les deux gardes s’écartèrent, et l’invitation à avancer était manifestement plus que cela.
Verinea ne souhaitait pas se faire remarquer plus que ce n’était déjà le cas, et surtout, ne souhaitait pas se voir amenée devant l’un des membres éminent de la cité, ses jolis poignets enchâssés dans une vilaine chaîne, et finit par se décider.
Elle avança donc, oui … en roulant si ostensiblement des hanches, qu’elle aurait même fini par donner le mal de mer à un marin.

L’effet escompté sur les gardes fut manifestement au rendez vous. Mais le capitaine, en bon chat qu’il était, lui gâcha son plaisir. Il la rejoignit, et la prenant par le bras, la pressa de descendre, afin de l’accompagner au plus vite vers sa destination.
Verinea accepta, bon gré mal gré, sa petite victoire sur le stoïcisme de la Garde comme suffisante, et décida de ne plus opposer aucune résistance jusqu’à sa destination.
Ils firent quelques pas, pour s’éloigner des docks, puis le capitaine sortit une étrange amulette. Alors que les gardes faisaient cercle autour d’elle, le capitaine entonna une rapide litanie, puis tout se brouilla autour d’elle. Lorsqu’elle put distinguer à nouveau autour d’elle, elle était sur la place centrale d’Ahgram, la belle cité au cœur du continent de Qalia.
D’un geste de la main, le capitaine invita Verinea à la suivre. Après un moment a tourner dans le dédale des rues de la basse ville, l’étrange groupe fini par arriver devant l’entrée d’une maison sordide, au fond d’une impasse. Le capitaine ouvrit la porte, et l’invita à entrer.
Au moment où elle passait l’embrasure de la porte, elle se retourna :

- Dites moi, je ne connais même pas le nom de ce si charmant capitaine qui m’a ainsi escorté au péril de sa vie ?

Ce dernier lui jeta un dernier regard, où se disputait lassitude et autre chose, puis il la poussa sans ménagement à l’intérieur, et referma derrière lui. Les pas qu’elle entendit lui apprirent que la Garde s’en retournait. Ainsi, on était persuadé qu’elle ne ressortirait pas dès que son escorte serait parti.
Piquée au vif, elle regarda autour d’elle. Si la maison était située effectivement au beau milieu de la zone la plus pauvre de la ville, son intérieur démentait catégoriquement que son occupant y ai jamais appartenu : un mobilier en bois précieux, des tapisseries, et des objets d’une facture plus que magnifique ravissaient ses sens.
Repérant un sofa, elle s’y laissa tomber, et décida d’attendre son hôte.

A peine était-elle assise que celui-ci sorti de l’ombre. La surprise de le voir ici, ainsi qu’une peur panique qu’elle n’avait plus connu depuis bien longtemps, la firent se relever d’un bond

- Seigneur Inquisiteur Taeltharion !!!

Elle était surprise et inquiète. L’apparition d’un des Seigneurs de cette organisation, événement rarissime, ne présageait généralement rien de bon. Etait-elle la cible, ou bien l’exécutrice d’une action de la Noire Inquisition, cela, elle n’allait pas tarder à le savoir.

Sans un mot, et sans se soucier de la surprise de son invitée, il se dirigea derrière son bureau pour s’y asseoir. Verinea en profita pour l’étudier rapidement : un elfe noir, qui était d’un age indistinct et d’une corpulence moyenne, ce qui la troublait assez d’ailleurs. Il était vêtu d’une armure de plate, d’un gris terne, et qui avait manifestement vécu un nombre incalculable d’affrontements. La chevelure était très courte sur le front, et ne faisait qu’encadrer un visage aux traits acérés, pour s’arrêter sur sa nuque. A ceci s’ajoutait un regard glacial, aux yeux bleus profonds, ainsi qu’un nez droit et sec. Les lèvres serrées achevaient l’air sévère et sinistre du personnage

D’un geste, il l’invita à s’asseoir de l’autre coté, en face de lui. Verinea hésita une seconde, mais le sourire affable de son homologue ne laissant présager rien de menaçant pour l’instant, elle finit par se laisser tomber dans le fauteuil désigné.
N’ayant toujours pas prononcer la moindre parole, et se sentant observée, elle ramena ses yeux dans les siens, et essaya de soutenir son regard, mais au bout de quelques secondes, elle sentit un froid pointer au creux de son ventre, et se développer dans tout le corps. Prudemment, elle détourna les yeux.

- Ma chère, vous semblez inquiète. En tant qu’inquisiteur, vous savez combien j'accorde d’importance aux … inquiétudes des personnes que je suis amené a côtoyer !!.

Sa voix était douce, entêtante. Elle était persuadée que si on l’écoutait trop longtemps, on devait finir immanquablement par tomber d’accord avec lui, fusse-t-on son pire ennemi …
Quant à la brève hésitation sur le mot inquiétude, elle en disait long sur la réelle signification de ce mot. Mais elle choisit de ne pas relever, et le laissa continuer.

- Soit ! J’irais droit au but. Si j’ai souhaité de vous rencontrer, c’est parce que vos talents vont m’être utile. Je peux compter sur votre coopération, n’est-ce pas ? Oui, bien sur.

Verinea se sentait prise dans un piège qui se refermait doucement sur elle. L’inquisiteur était bien trop doucereux. Vu les pouvoirs de la Noire Inquisition, nul n’aurait eu la plus petite once d’envie de refuser la moindre demande de la part d’un inquisiteur, alors pourquoi poser la question ?? Malgré l’appréhension grandissante qui l’envahissait, elle essaya de se concentrer sur la discussion.

- Les petites patrouilles dont vous avez la charge depuis ces deux dernières années sont utiles, mais vous pouvez nous servir bien mieux dans un autre genre de mission. Estimant que vous en avez les capacités, je veux quand même voir ce que vous valez sur le terrain.

- Que voulez vous dire, Seigneur Inquisiteur Thaeltarion ?

- Je vous confie votre première enquête. Vous devrez vous intéresser à un mouvement qui se développe non loin de notre ville. Ce groupe d’elfes noirs affiche une attitude de sédition parfaitement intolérable. Mais ce n’est pas ça qui m’ennuie, la Milice est parfaitement capable de se charger d’un problème de sédition. Non, ce qui m’ennuie, c’est qu’ils le font au plein jour, avec un repaire désigné pour tout ceux qui veulent rejoindre leur mouvement.

- Mais que représente-t-ils ??

- Nos motivations n’ont pas à vous être révélées. Vous avez seulement à obéir à ce que je vous demande. Suis-je assez clair ?

L’elfe noir avait martelé cet état de fait en frappant de son poing le bureau, ce qui fit tressauter Verinea. C’était la première manifestation d’humeur qu’elle voyait chez cet elfe noir. Convaincue que le sujet était tout sauf banal, elle acheva de se dire qu’elle était au beau milieu d’un écheveau de soucis, et qu’elle n’était qu’un pion, rien de plus. A elle de montrer sa valeur, pour éviter le sacrifice …

Semblant reprendre rapidement contrôle sur lui même, il reprit sur le ton initial de la discussion :

- Je compte sur vos talents innés pour la discrétion ma chère. Mes ordres sont simples : découvrez ce qu’il en est de ce mouvement, ses ramifications, son importance, ses objectifs, et agissez rapidement, en prenant toutes les sanctions que vous jugerez nécessaires et suffisantes pour que personne n’envisage jamais plus comme possible l’acte de sédition. Suis-je assez clair ??

Le ton sans appel ne laissait aucun doute : elle devrait éliminer physiquement les leaders du mouvement, et de la façon la plus violente et la plus voyante qui soit.

- J’ai compris mon seigneur.

- Cependant, dans cette mission, je ne vous laisserais aucun sauf-conduit. Vous agirez directement sous mon autorité, mais sans ordre de mission. A vous de vous débrouillez pour arriver à vos fins. Vous êtes prometteuse, et avec de grandes capacités. Je n’aimerais pas être celui qui vous condamneras sur la place des exécutions pour trahison !!

L’inquisiteur se leva et après avoir contourné son bureau, vint se placer derrière elle. Caressant doucement la joue, il ajouta à son oreille :

- Vous êtes une elfe des bois, plutôt jolie même, mais n’oubliez jamais que personne ici ne vous fera confiance. Notre cité vous a permis de sortir de la fange où vous croupissiez : vous lui appartenez. Alors, ne décevez pas !! Vous pouvez disposer.

Ce n’est qu’une fois dans la rue qu’elle se permis enfin la première respiration libre depuis un bon moment. Le soleil qui brillait et qui lui semblait avoir commencé une resplendissante journée prenait maintenant un coté agressif.
Souhaitant faire le point, et avoir un peu de calme, elle se dirigea vers la taverne la plus proche, afin de s’y reposer un peu, et faire le point sur sa situation. Le centre commercial et de production, installé non loin, assurait une forte densité en gardes, et une relative tranquillité dans ces lieux.

La journée était à peine commencée, la réunion s’étend tenue de bon matin. La salle était donc encore assez vide, et Verinea put se choisir une table à l’écart. Elle commanda une pinte de bière à l’orange, afin de pas trop s’obscurcir l’esprit, mais suffisamment alcoolisé quand même.
C’est alors qu’ils surgirent de l’ombre…

Le premier était un humain, un grand barbare nommé Hirald, une force de la nature comme elle en avait peu rencontré. Il était doté d’une carrure impressionnante, et de nombreux tatouages parcouraient son torse. Ne portant aucune armure, ils étaient visible par tout le monde, l’identifiant comme un des descendants des barbares des terres du nord. La seule exception était la lanière de cuir qui servait à maintenir dans son dos celle qu’il appelait affectueusement Danseuse : une énorme épée bâtarde, qu’il maniait avec une force et une dextérité qui l’aurait promis à une certaine gloire au sein de la milice de la ville, n’était qu’il avait préféré la liberté d’aventurier.
Au fond d’elle-même, elle avait admis depuis longtemps qu’elle l’aimait bien … et qu’il était par conséquent digne d’être la victime privilégiée de ses farces, qui le faisait rire à gorge déployée, juste avant qu’il ne se mette à la prendre en chasse, lui promettant mille châtiments s’il l’attrapait, ce qu’il n’avait jamais encore réussi à faire !

Le deuxième individu à ses cotés, n’éveillait en revanche en elle que de la crainte. Bien qu’assez jeune, cet humanoïde avait le corps recouvert d’une belle fourrure sombre, zébrée par endroits de marques de couleur cuivrée. Il avait un regard aux yeux bleus gris, assez sombres. C’était le mage du groupe, un Kurashasa, qui disait s’appeler Khiranan. Habillé de façon ample et multicolore, son choix portait en ce moment sur un ensemble bleu azur, zébré de dorure et de coutures apparentes de couleur rouge, très à la mode … enfin, la mode Kurashasa certainement rectifia-t-elle en son fort intérieur.

Son attention fut rapidement attirée par le troisième personnage : Dyran. Il s’agissait d’un elfe noir, vêtu d’une cote de maille renforcée, et de jambières de combat, et qui se promenait avec un marteau à double tête, une arme qu’il ne maniait que rarement, mais avec une précision acceptable. Elle savait qu’il portait cet accoutrement pour dissimuler ses talents de prêtre, et ne pas voir le groupe s’arrêter à tout bout de champ. Il émanait de lui un certain charme qui la fascinait, mais sans plus. Sans doute ses yeux couleur lavande se disait-elle à chaque fois qu’elle le voyait.

Elle les regardât s’approcher de sa table, et s’asseoir en face d’elle. Ils formaient les membres de son équipe, ceux avec qui elle partait patrouiller, les seuls à qui elle faisait confiance. Suffisamment pensa-t-elle : ils combattaient parfois dos à dos, mais elle ne leur en accordait pas plus. Elle compris ce matin, au fond d’elle, mais sans vouloir réellement l’admettre, que son avenir était sombre, et qu’il ne serait sans doute pas très long.

Hirald le premier pris la parole :

- Bonjour ma belle, tu ne nous a même pas vu en entrant. Tu sembles bien tristounette ce matin. Ton entrevue avec le capitaine de la Milice s’est mal passée ??

- Non, lui répondit-elle, l’entrevue avec le capitaine s’est bien déroulée, du fait qu’elle n’a pas eu lieu. C’est plutôt celle avec l’inquisiteur Thaeltarion qui me cause des soucis.

Dyran haussa un sourcil.

- Tu as rencontré Thaeltarion ? Le Seigneur Inquisiteur qui dirige le Temple de la Guerre ?

Verinea acquiesça d’un signe de tête, et entreprit de leur raconter sa matinée, n’omettant aucun détail. Une fois terminé son exposé, elle ajouta ses propres conclusions.

- En fait, je soupçonne le Temple de la Guerre de servir de paravent à une faction d’elfes noirs, mais j’ignore totalement leurs objectifs et leur importance. Ils ont simplement choisi de ne pas se montrer pour l’instant. D’autre part, je serais certainement celle qu’on sacrifiera si ça tourne mal. C’est pour cela que j’hésite vraiment à vous entraîner dans cette affaire sordide.

- Et bien, nous ne te laisserons pas le choix, rétorqua Hirald. Nous avons toujours été ensemble, dans les dangers ces derniers temps. Je serais à tes cotés, quoi qu’il arrive.

Dyran approuva cette remarque à son tour. Khiranan se contenta d’émettre un ronronnement approbateur, renforcé par un signe de tête. Verinea se rappela qu’il n’aimait pas beaucoup parler. Un vrai chat se dit-elle : il ne fait que l’effort nécessaire.

- Mais tout cela ne nous dit pas comment, ni quand opérer. Et les directives qu’on t’a donné sont pour le moins très larges niveau interprétation, continua Dyran.

- Je sais bien, contra-t-elle. Cependant, vu la façon dont-il m’a annoncé ça, je ne vois que le meurtre de leur chef comme objectif attendu de ma part. Et en plus, il faut que ça soit spectaculaire !

Elle avait insisté sur ce point, avec une légère ironie. La réponse de Dyran fut sur le même mode :

- Et bien, on va chez eux, dans leur repère, on passe au travers de la soldatesque, et on assassine leur chef. On emmène une preuve que c’est bien nous, et on confie tout ça à l’inquisiteur Thaeltarion. Rien de plus simple, non ?

Verinea aurait voulu ajouter quelque chose, dire que ce plan était complètement fou, ou suicidaire, mais en fait, à la réflexion, quoi qu’ils décident, leur action se résumerait au final à un affrontement avec le chef de la faction. Alors une approche directe ou furtive ne changerait pas grand chose. Leur discussion dura encore une bonne heure, durant laquelle il finirent par mettre au point les modalités de leur action, puis décidèrent d’attaquer le soir même. Mieux valait que l’information comme quoi le Temple de la Guerre avait enfin décidé d’agir n’ait pas le temps d’arriver à leur cible …